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Focus sur les "redevances-sillons" des trains de nuit

Dans l'article précédent, nous avons parlé de l'importance du confort dans les trains de nuit pour une durabilité dans la renaissance des trains de nuit. Un autre gros challenge concerne la viabilité économique. Dans cet article nous aborderons les "redevances-sillons", ce péage ferroviaire qui influence le portefeuille des compagnies ferroviaires.


De plus en plus de personnes prennent conscience du problème de la disparition des trains de nuit. Chez Back on Track Belgium nous en sommes très heureux ! Les raisons de leur disparition commencent aussi à être connues, notamment le problème des redevances-sillons coûteuses.





Les redevances-sillons, c'est quoi?


En bref, les redevances-sillons sont pour les trains ce que le péage est pour les voitures sur les autoroutes françaises ou italiennes : une redevance calculée au kilomètre, prélevée par le propriétaire des voies (presque toujours un État) sur l'exploitant d'un train (parfois une entreprise publique, parfois une entreprise privée). Les redevances-sillons ont été inventées dans les années 1990 dans le contexte de la libéralisation. À cette époque, il a été décidé que les entreprises ferroviaires autrefois unitaires soient divisées verticalement avec d’un côté le gestionnaire de l'infrastructure, le propriétaire des voies, et de l’autre l’opérateur qui fait rouler les trains.


Une procédure de demande compliquée


Un opérateur doit faire la demande pour ses sillons auprès du gestionnaire d'infrastructure. Celui-ci examinera la faisabilité sur l'ensemble de l’itinéraire, même si une partie de celle-ci se trouve à l'étranger. S'il n'y a pas de conflit avec d'autres demandes de sillons, il approuvera le sillon demandé. En cas de plainte, l'opérateur peut s'adresser au "Service de Régulation du Transport ferroviaire et de l'Exploitation de l'Aéroport de Bruxelles-Capitale". Un sillon doit être demandé longtemps à l'avance. Pour un sillon qui commence avec le changement d'horaire annuel en décembre, la demande doit être faite au plus tard le deuxième mardi d'avril de l'année en cours. Dans le cas d’un sillon pour un train électrique, l'électricité pour celui-ci est également comptée dans la redevance-sillon.

L’itinéraire démystifié


En Belgique, la méthode de calcul est exposée au chapitre 6 du "Document de référence du réseau" d'Infrabel (*)(**).

Un sillon coûte :

"Coût direct ligne" x "nombre de km" + "Majoration Ramsey-Boiteux"

Le coût direct d'une ligne est de 1,721676 €/km. Alors, qu'est-ce que la majoration Ramsey-Boiteux ?

Il s'agit d'une majoration qui n'est appliquée qu'aux trains de voyageurs, qu'il s'agisse de trains de voyageurs faisant partie du service public (c'est-à-dire commandés par l'État et pour lesquels l'État compense les pertes) ou d'autres trains de voyageurs, ce qui, en Belgique, inclut actuellement tous les trains de nuit.


Le nom de Ramsey-Boiteux vient d'une théorie économique qui stipule que si, dans un monopole public, les biens sont fournis à un coût marginal, une perte globale est subie parce que les coûts fixes ne sont pas récupérés(***). Pour récupérer ces coûts fixes, on demande donc un peu plus que le coût marginal du bien. Mais qui paie combien ? La théorie de Ramsey-Boiteux stipule que les biens les moins sensibles au prix doivent être les plus chers. Les biens fournis par Infrabel sont des sillons et apparemment Infrabel (le gestionnaire d'infrastructure) considère que les trains de voyageurs sont les moins sensibles aux fluctuations de prix. En d'autres termes, Infrabel part du principe que, qu'il demande 1,00 € par kilomètre ou 8,50 €, le train de passagers continuera à circuler, tandis que le client de l'opérateur de fret pourrait se tourner vers les camions ou les voies navigables intérieures en cas de coûts plus élevés.

Cela semble confirmer la rumeur selon laquelle tout est mis en œuvre pour faire réussir la libéralisation du fret ferroviaire et stopper la tendance négative du secteur en accordant aux opérateurs de fret des rabais sur les sillons, tout en récupérant intégralement les coûts fixes auprès des trains de passagers. Tous les opérateurs de fret sont aujourd'hui des acteurs privés, mais l'industrie du transport de passagers n'est pas la même.

L'écrasante majorité des trains de passagers est toujours exploitée par l'opérateur public SNCB. La grande majorité de ces trains SNCB font également partie de la mission de service public de la SNCB, ce qui signifie que le gouvernement paie de toute façon les pertes. Des clients garantis pour Infrabel donc, contrairement au client fugitif du transport de marchandises.

Les opérateurs de trains de marchandises ne paient donc que le coût marginal, tandis que les opérateurs de trains de voyageurs amortissent les coûts fixes.

Décision arbitraire


Toutefois, le fait que la théorie de Ramsey-Boiteux y soit appliquée est un choix arbitraire d'Infrabel et n'est certainement pas indiscutable. Un train de marchandises provoque beaucoup plus d’usure sur les infrastructures qu'un train de voyageurs. Les lignes ferroviaires avec beaucoup de trafic de marchandises doivent être renouvelées plus souvent et coûtent donc plus cher à Infrabel. Les trains de marchandises accélèrent également beaucoup plus lentement, ce qui signifie qu'ils occupent les sillons plus longtemps. Ils sont également plus longs, ce qui rend difficile leur mise de côté dans les gares, ce qui les rend moins flexibles que le train de voyageurs type. Ces facteurs sont tous ignorés dans le calcul des coûts marginaux, qui favorise clairement les opérateurs de fret. Même si l'on ne tient pas compte de ces facteurs et que l'on continue à appliquer la méthode Ramsey-Boiteux, tout indique que les trains de nuit sont également très sensibles au prix. En fait, ils y sont tellement sensibles que la Belgique les a tous perdus entre 2000 et 2009. À l'époque, Karel Vinck, le patron des chemins de fer, avait déjà pointé du doigt les redevances-sillons pour répondre aux (rares) critiques à l’époque concernant la disparition des trains de nuit.


En tout état de cause, il semble indiscutable que le système actuel de redevances-sillons est indéfendable et manifestement injuste pour tous les trains de voyageurs, mais en particulier pour les trains de nuit.





Étant donné le grand nombre de coefficients, il est difficile de déterminer exactement combien un train spécifique paie, il est sur que la majoration Ramsey-Boiteux est un multiple du simple "coût direct ligne" que paient les trains de marchandises.

De grandes différences dans les redevances-sillons

Chaque pays détermine lui-même la valeur des redevances-sillons. Une moyenne de ces frais d'accès aux voies se trouve dans les rapports annuels d'IRG-Rail (****). Une distinction est faite uniquement entre les moyennes des trains de marchandises et des trains de passagers. Au sein de ces catégories, il y a souvent une grande différence de prix entre, par exemple, les sillons pour les trains à grande vitesse et les sillons pour les petites lignes locales, mais cela donne une idée générale des pays aux redevances-sillons les plus chers.

On peut facilement en conclure que les pays « bon marché » perdent eux aussi leurs trains de nuit, comme la Slovénie, la Pologne et même la République tchèque, patrie de l’opérateur privé RegioJet. Tous ces pays ont des redevances-sillons moyennes inférieures à un euro par kilomètre, et pourtant ils ont beaucoup moins de trains de nuit qu'il y a dix ans.




L'erreur de conception est le problème le plus profond

Pourtant, même si le prix des redevances-sillons est bas, cela ne garantit pas la totale renaissance des trains de nuit. Prenons l’exemple de l’opérateur privé RegioJet, devenu célèbre avec son deuxième train de nuit, un train touristique reliant la République tchèque à la côte croate via la Slovaquie et la Hongrie. Il contourne la Slovénie qui est pourtant le pays le moins cher en termes de sillons ferroviaires, avec une moyenne de 4 centimes d'euro par kilomètre et situé sur le chemin le plus court entre Prague et Rijeka. Ce train relie tous les pays où les sillons sont les moins chers, mais il doit néanmoins atteindre un taux d’occupation de plus de 90% pour être rentable, selon Radim Jancura, président de RegioJet(*****). Le cout du matériel roulant n'est pas en cause, car le train est exploité avec des voitures vieilles de près d'un demi-siècle dont les critiques sont plutôt mauvaises sur YouTube(******). Du vieux matériel roulant, des voies à prix cassés et pourtant, le taux d’occupation doit dépasser le 90 % pour atteindre la rentabilité.


Le problème est donc plus profond que le prix des sillons. Les prix des sillons doivent absolument être réduits en Belgique, car pour les trains de voyageurs, il est l'un des plus élevés d'Europe. Une promesse politique a été faite pour remédier à cette situation, mais à en juger par le document de référence du réseau Infrabel pour 2022, rien n’a changé. En outre, il est clair que même des sillons très « bon marché » ne résoudront pas le problème, comme le démontrent la République tchèque, la Hongrie et les pays de l'ex-Yougoslavie.

C'est le système des sillons payants lui-même qui joue contre lui. Il s'agit d'une erreur de conception commise au moment de la libéralisation. Le cadre est préprogrammé pour décourager l'utilisation maximale des voies plutôt que de l'encourager : une entreprise unitaire profite précisément de l'utilisation maximale des voies : 24 heures sur 24, mais dans une structure à division verticale, le gestionnaire d'infrastructure est un simple commerçant qui vend des sillons. Monopoliste en plus, le gestionnaire de l'infrastructure a donc suffisamment de demande pour fixer un prix à un niveau suffisamment élevé et une demi-journée de passage de trains, les coûts sont totalement couverts, surtout si la plupart des clients sont simplement l'opérateur qui fournit les services publics. Cette division verticale entraîne également des coûts de système élevés et affaiblit la position des chemins de fer par rapport à l'aviation.

Il est urgent d'adopter un cadre différent

Le système des sillons payants est en place depuis une vingtaine d'années. Elle a coûté la vie aux "anciens" trains de nuit et empêche la création d'un nouveau réseau de trains de nuit. Chez Back on Track Belgium, nous pensons qu'il est temps d'adopter un cadre différent. Un cadre dans lequel les chemins de fer deviennent le principal concurrent de l'aviation. Cela ne se produira pas dans le cadre actuel.



Sources

*https://infrabel.be/nl/netverklaring (jaren 2021 en 2022)

**https://infrabel.be/fr/networkstatement (années 2021 et 2022)

***Wikipedia-pagina’s in Frans en Engels van Ramsey-Boiteux

****https://www.irg-rail.eu/irg/documents/market-monitoring/312,2021.html daar naar “Working document”, figuur 8

*****https://www.bahnforum-visegrad.de/showthread.php?tid=1364 Interview met Radim Jancura

******Youtube: trefwoorden “Regiojet sleeper”

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